Publié sur Opinions

Il est temps de redéfinir ce que signifie être agriculteur au 21e siècle

La plantation d'arbres et d'arbustes fourragers dans des ranchs en Colombie augmente les revenus des agriculteurs tout en stabilisant les sols, en retenant l'eau et en augmentant la biodiversité. Flore de Preneuf/Banque mondiale La plantation d'arbres et d'arbustes fourragers dans des ranchs en Colombie augmente les revenus des agriculteurs tout en stabilisant les sols, en retenant l'eau et en augmentant la biodiversité. Flore de Preneuf/Banque mondiale

Il ne se passe pas une semaine sans que de nouveaux rapports nous alertent sur les effets négatifs des systèmes alimentaires sur l'environnement. Les modifications des techniques agricoles et de l'utilisation des terres comptent parmi les principaux responsables de la déforestation, de la perte de biodiversité et du changement climatique. Sachant qu'un million d'espèces sur huit sont menacées d'extinction et que l'agriculture est le premier mode d'utilisation des terres, il est urgent de repenser une activité qui constitue à la fois une source de produits marchands mais aussi de fonctions environnementales pour la planète.

Que nous soyons consommateurs ou producteurs, contribuables ou décideurs, nous avons tous intérêt à rendre l'agriculture plus durable  pour maintenir la stabilité écologique de notre environnement. Mais, dans ce système, c’est surtout à un groupe d’acteurs qu’incombe la tâche de mettre en œuvre les changements nécessaires : les paysans.

Or, les agriculteurs ont déjà beaucoup de mal à gagner leur vie dans un monde où les marchés sont fluctuants, où les conditions météorologiques changent plus vite que la capacité d'adaptation et où les ravageurs et les maladies peuvent anéantir la production de toute une saison.

Dans ces conditions, comment les paysans pourraient-ils adopter des pratiques agricoles plus durables qui, non seulement protègent, mais aussi restaurent les ressources naturelles ?  Quel serait le bon dosage de mesures d'incitations, de signaux du marché, de réglementations et d'investissements publics pour soutenir cette transition urgente ?

Si la réponse dépend bien sûr du contexte, la situation financière des agriculteurs doit être dans tous les cas au cœur de la solution. Car, comme me l’a dit récemment un paysan néerlandais, « si vous êtes dans le rouge, vous ne pouvez pas passer au vert ». En d'autres termes, les pratiques durables à long terme et bénéfiques pour la planète doivent aussi être rentables du point de vue de l’exploitant agricole pour qu’il décide de les adopter.

Heureusement, il existe un large éventail de techniques susceptibles de procurer un triple avantage en favorisant l’adaptation au changement climatique, l’atténuation des émissions et la productivité. Meilleure gestion de l'eau, tolérance des cultures au stress, cultures intercalaires, amendement du sol, amélioration de la gestion des déchets d'originale animale ou encore agroforesterie : ces pratiques agricoles climato-intelligentes (a) permettent aux agriculteurs de limiter leur exposition aux inondations et aux sécheresses, de stocker davantage de carbone dans leurs exploitations, de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d'augmenter leurs bénéfices.

Quand les agriculteurs disposent d’incitations efficaces, de financements abordables, de technologies appropriées et de conseils pertinents, ils relèvent souvent le défi de la transition durable parce que c'est un choix rentable pour eux. 

Néanmoins, les consommateurs et plus généralement les acheteurs ne sont pas pour autant exempts de toute responsabilité. 

D'une part, les consommateurs ont un rôle à jouer en achetant des produits de qualité qui rétribuent des pratiques durables et inclusives. D'autre part, des achats responsables par les grandes entreprises et la transparence des marchés sont également importants. Toutefois, des prix supérieurs pour des cultures ou des modes d'élevage durables sont souvent insuffisants pour maintenir les exploitations à flot en cas de surproduction importante ou quand des fluctuations de change entraînent une forte baisse du prix des produits de base. — comme l’illustre le drame vécu par ce producteur guatémaltèque de café (a), dont le Washington Post a publié le témoignage cet été. Par ailleurs, les produits haut de gamme sont hors de portée de nombreux consommateurs qui ont du mal à nourrir leur famille et à habiller leurs enfants.

On s'accorde de plus en plus à penser que le soutien public aux producteurs de denrées alimentaires devrait être réexaminé à la lumière des objectifs de développement durable, pour s’attacher désormais à réduire les subventions ayant des effets pervers, à accroître les investissements dans la recherche et le développement et à créer des incitations positives pour que les agriculteurs s'engagent sur la voie de la durabilité. C'est là une des principales conclusions du rapport de la Food and Land Use Coalition publié en septembre dernier, Mieux cultiver : dix transitions critiques pour transformer l'alimentation et l'utilisation des terres. Et c'est aussi un projet politique qui gagne du terrain dans plusieurs pays avec lesquels travaille la Banque mondiale.

Pour ma part, je pense qu'il faut aller encore plus loin. Compte tenu des exigences sociétales qui pèsent sur eux, il est temps de redéfinir ce que signifie être agriculteur au 21e siècle. Car un agriculteur n'est pas seulement un producteur de denrées alimentaires, c'est aussi un fournisseur de services écosystémiques.  Nous devons mettre en place un système qui soutienne cette vision.

Rémunérer les services environnementaux pourrait atténuer les variations de revenu causées par la volatilité des prix des produits agricoles et ouvrir aux paysans l'horizon à long terme dont ils ont besoin pour investir dans des pratiques durables. Les paysans qui s'engagent dans cette voie et qui font tout leur possible pour enrichir le sol, préserver les berges des rivières, planter des arbres et entretenir les habitats naturels pourraient être rétribués, non seulement pour les produits qu'ils cultivent et vendent, mais aussi pour les services environnementaux publics que rendent leurs exploitations tout au long de l'année. Ce type d'incitation a été expérimenté avec un certain succès dans des pays comme le Costa Rica.

Aux prix actuels du marché cependant, la rétribution des services écosystémiques — stockage du carbone, stabilisation des sols, amélioration de la qualité de l'eau, etc. — n'en reflète pas suffisamment la valeur sociétale. Ce décalage pourrait être réduit, voire comblé, en repensant les aides publiques à l'agriculture pour qu’elles rémunèrent plus explicitement les paysans pour la prestation de ces services tandis que ces derniers devraient, en échange, se conformer aux normes applicables. Cela permettrait aux 570 millions d’exploitations à travers le monde, ainsi qu’à tous les agriculteurs et travailleurs qui en dépendent, de transformer et restaurer les paysages agricoles.

Il est évident que les systèmes alimentaires doivent être profondément repensés pour produire des résultats plus durables. Il est temps de retrousser nos manches et d'élaborer des solutions politiques qui permettront aux paysans de jouer plus facilement un rôle‏ de premier plan dans la restauration de la planète.


Auteurs

Martien van Nieuwkoop

Directeur mondial, pôle Agriculture et alimentation, Banque mondiale

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